Dans les couloirs, tout le monde murmurait ou parlait à voix haute des tracts. On se demandait qui, on se demandait comment, on se demandait pourquoi. Après avoir entendu Odessa et Minsk entamer l’Internationale, Varsovie l’avait dans la tête. Et elle était d’ailleurs en train de la fredonner quand elle retrouva Zaniah, à la fin de leurs cours de la matinée. Au vu du beau temps à l’extérieur, les deux jeunes femmes s’étaient décidées à manger dans le parc des étables. La slave était passée par les cuisines – elle s’était mis les elfes de maison dans la poche dès la première semaine – pour récupérer de quoi se sustenter délicieusement. Elle avait d’ailleurs pris peut-être un peu trop de choses, puisqu’elle parvenait à peine à voir où elle marchait à cause de ses bras chargés.
Elle remarqua l’américaine assise à l’ombre d’un arbre, non loin d’une des étables. C’était étonnant, cette amitié qui s’était crée si vite et si facilement entre les deux. Varsovie avait pourtant été élevée dans l’idée que les Américains étaient parmi les principaux responsables des diverses crises actuelles, notamment dans le monde moldu. Mais elle n’était pas du genre à faire des généralités. Et puis, Zaniah – tout comme Cassiopeia d’ailleurs – ne portait pas la responsabilité de son peuple sur les épaules. Par contre, elle portait l’avenir du monde magique, comme tous les autres étudiants et professeurs ici présents. Mais il ne valait mieux pas y penser, car la pression est un peu trop grande pour des personnes tout juste sorties de l’enfance…
« Et voilà la nourriture ! Il y a du pain, de la tarte aux brocolis, des tomates, du fromage, un cake salé et un sucré, des clémentines, un gâteau au chocolat et, évidemment, des pâtes de fruits ! J’espère que t’as faim ! » La slave a eu les yeux plus gros que le ventre, comme d’habitude. Mais elle sait aussi qu’elle doit prendre des forces, parce qu’une longue soirée l’attend. Sa première mission officielle. « Tout le monde ne parle que des tracts ce matin. Je t’avoue que je ne sais plus trop quoi en penser… Peut-être que ça peut éveiller et faire réagir certains esprits, mais dans le sens positif du terme ? Avant que ça prenne des proportions démesurées, je veux dire. » Elle avait envie d’entendre le point de vue de son amie, qui serait sûrement différent du sien. Parce que la slave avait grandi dans l’idée que quand on veut quelque chose, on se bat pour l’avoir. Alors pourquoi ne serait-ce pas pareil ici ?
Varsovie buvait les paroles de l’astre en face d’elle. Zaniah avait un avis beaucoup plus éclairé qu’elle sur la question. Et sur beaucoup d’autres questions d’ailleurs. Chaque fois qu’elles discutaient ensemble, la slave avait l’impression de découvrir de nouvelles facettes de leur monde. Zaniah lui donnait des clés qui lui permettaient de comprendre les choses par elle-même, mais de manière à ce qu’elle se forge sa propre opinion. Souvent, leurs idées convergeaient parce que l’américaine savait lui exposaient des arguments logiques et implacables.
Toujours était-il que Zaniah doutait d’une évolution positive de la situation suite aux tracts du matin-même. En réalité, tout résidait en un seul mot. Unité. Celle qu’ils n’avaient encore jamais eu à l’Astronef. Parfois, elle existait au sein des délégations. Mais ce n’était pas de ça dont ils avaient besoin. S’ils avaient été unis autour de Vivianne pendant quelques jours, quelques semaines, son absence rendait les fossés qui séparaient les étudiants de l’Astronef encore plus profonds. « La solution la plus simple serait que Vivianne revienne. Mais si elle ne revient pas ? Sans elle, plus rien ne tiendrait debout. Il ne peut pas y avoir un autre leader. S’il est choisi au sein de l’Astronef, certaines délégations refuseraient de se soumettre. S’il vient de l’extérieur, personne ne lui fera confiance. C’est une impasse. Et évidemment, aucun étudiant ne peut prétendre à ce poste, ça me paraît évident. Sans Vivianne, l’Astronef est perdue. » Mais pourtant, elle y croyait au retour de la Directrice. Elle espérait juste qu’elle reviendrait d’elle-même, et avec de bonnes raisons pour justifier son absence et le chaos que cela avait causé.
La dernière question de Zaniah était plus évasive, concernant la réussite globale du projet. La première pensée de la slave, c’est de répondre par la négative. Déjà des morts, des blessés, des disparus. Alors qu’ils sont censés être tous dans le même camp. Censés. Mais admettre qu’elle n’y croit plus, c’est abandonner tout espoir. « Je ne sais pas si on peut le mener à bien… Mais il faut qu’on continue d’essayer. Il y a des gens qui comptent sur nous partout dans le monde. Le projet n’est pas parfait dans la pratique, mais je suis sûre qu’on peut trouver les ajustements nécessaires pour que cela fonctionne. Il faut les trouver. » Ce n’est pas une option. L’Astronef doit vivre, l’Astronef va vivre. Et peu importe comment les choses tournent, Varsovie soutiendra cet idéal jusqu’à la fin. « Et il porte déjà quelques fruits, d’ailleurs. Les missions sont plus que des entraînements, ce sont de vrais moyens de lutter sur le terrain. »
Et puis soudain, la blonde se frappe le front avec la paume de sa main, comme si elle venait de se rappeler de quelque chose. « Mais oui, c’est ça que je voulais te demander ! J’ai besoin de tes précieux conseils en runes ! » Elle farfouilla dans son sac et en sorti son éternel carnet noir, qu’elle ouvrit après avoir tapoté la couverture avec sa baguette en marmonnant quelque chose d’incompréhensible pour quiconque ne parlait pas sa langue maternelle. Elle baissa le ton de sa voix, comme si elle allait confier un secret à Zaniah. « Je pars en mission ce soir ! Est-ce que tu pourrais me faire un cours express sur les runes qui pourraient nous servir ? Je ne sais pas trop à quoi on a affaire, mais des runes de langage pourraient sûrement nous être utiles. Tu connais mes capacités en anglais, ça pourrait être problématique que je ne comprenne pas ce que mes partenaires me disent… » Elle avait esquissé un petit sourire mutin, avant de s’empresser d’ajouter : « Même si t’es une super prof de langues hein, mais bon je préfère ne prendre aucun risque ! »
Malgré la tension qui flotte sur l’Astronef depuis le matin et les tracts. L’air est chaud, les rayons du soleil sont doux. Les deux amies sont à des lieues de s’imaginer de ce qui va leur tomber dessus à la fin de la semaine, profitant de leur pique-nique pour discuter sur les derniers événements. La slave acquiesce à la remarque de Zaniah concernant l’autorité controversée de Vivianne si elle venait à réapparaître. « C’est vrai que nous allons tous un peu douter maintenant… A moins qu’elle ait de bonnes raisons ? » Toujours optimiste la Varsovie, ça la perdra sûrement un jour. « On pourra demander à Malcolm X des conseils pour un système politique plus juste. » s’esclaffe-t-elle pour rendre la conversation plus légère. Tout le monde sait que les cours du professeur de politique sont plutôt… mouvementés. Et qu’il n’est pas connu pour être le plus fidèle au système en place actuellement. Varsovie est soulagée que Zaniah continue à croire au projet, malgré tout ce qui se passe. « Peut-être que l’Astronef s’arrêtera, mais la rébellion ne s’arrête jamais. Parole de slave ! » Et les slaves, ça tient parole. Enfin, Varsovie en tout cas.
Puis la conversation dévie ensuite sur la future mission de Varsovie et les runes. Le sourire de Zaniah éclaire le cœur de la slave. Elle est contente pour elle, même si la slave sent qu’elle s’inquiète un peu quand même. « Merci ma belle étoile ! Mmh, je suis à la fois excitée et un peu anxieuse. Mais bon, je serai avec Minsk, et il y aura Che Guevara alors ça me rassure un peu. » Elle aime bien la directrice des Castelobruxos depuis le cours de Techniques Moldues de la semaine quatre. Et puis, après tout, elle est dans le club d’équitation aussi. Et si Cardinal l’aime bien, alors Varsovie aussi. [HRP : MAIS LOL SÉRIEUX] « Ça va me faire découvrir du pays en tout cas ! Même si on part pas pour ça hein. » Elle reprend un air sérieux, même si au fond d’elle, elle est ravie de pouvoir apercevoir la France. C’est pas comme si elle avait eu l’occasion de faire beaucoup de tourisme au cours de sa vie.
Quand Zaniah lui montre les runes sur son propre carnet, Varsovie s’efforce de les tracer à la perfection dans le sien. Elle ajoute les annotations de Zaniah dans sa propre langue maternelle. « C’est pratique la rune polyglotte quand même. Pourquoi on n’a pas tous ça ici ? Ça faciliterait vachement les choses quand même… » Surtout pour elle. Qui s’emmêlait déjà d’une langue par parent, d’une langue commune à la délégation et de la langue plus ou moins universelle. « Et on peut le faire pour n’importe quelle langue ? Je veux dire, il existe une rune par langue ? Si oui, ça te dérange pas que je recopie les tiennes ? On sait jamais, ça pourrait toujours servir pour plus tard. » Elle accompagne sa demande d’un large sourire, auquel sa camarade américaine ne pourra pas résister. « Je vais essayer, voir si j'y arrive. » Du bout du dois, elle trace la rune polyglotte sur son poignet. Les traits s’illuminent une seconde, et Varsovie prononce quelque chose dans sa langue maternelle : « Le repas est servi, je répète, le repas est servi. Alors ? J’ai parlé en quelle langue ? » Si la rune fonctionne, Zaniah devrait l’entendre parler en anglais.
Pour affirmer ses paroles, Varsovie attrape une part de tarte aux brocolis et la dévore en vingt secondes. Et encore, elle a pris son temps. Une fois son estomac un peu moins vide, elle répond à la deuxième question de son amie stellaire. « Mmh, les runes explosives ça va. J’ai testées celles que tu m’as montrées la dernière fois et… Hum, tu demanderas à Altaïr. Ça a plutôt bien marché. » Elle fait une petite moue coupable en se rappelant les blessures occasionnées à l’autre astre à cause d’elle. Heureusement, il y avait eu plus de peur que de mal au final, et ça avait débouché sur une drôle de rencontre. « Du coup, je veux bien des recours plus subtiles. Booster magique ça me parle bien ça ! Genre notre magie est plus forte ? Ou on augmente nos chances de réussite ? » Parce que pour le coup, l’un des effets comme l’autre pouvait être vraiment utile pour Varsovie, qui avait parfois des petits problèmes de baguette. « T’es vraiment trop forte Zaniah ! On sait jamais, hein, mais s’il devait m’arriver un truc pendant la mission, faut que je te dise que je suis vraiment contente de t’avoir rencontrée ici. Tu es une personne formidable tu sais, je suis chanceuse que tu sois mon amie ! » Yeux brillants, bizarrement elle a l’impression que sur l’Astronef il vaut mieux dire les choses importantes avant que quelque chose de grave n’arrive…