in the darkness you will see the sun (ft. belgrade)

Jeudi - 20h00 - Semaine 8

Il se pose pleins de questions auxquelles il n’a aucune réponse.

Cardinal est assis dans les gradins du stade, loin de la tribune du commentateur où il prenait habituellement place. Assis sur le banc de bois, il est dans les premières rangées, mais bien plus loin du terrain qu’il n’en a l’habitude, lui qui aimait se trouver au cœur de l’action, à défaut de pouvoir participer, merci la jambe qui n’en faisait qu’à sa tête. ♡ Il avait pris un moment, après les activités physiques, pour se changer, parler avec ses amis et manger un morceau, mais même à son retour, elle était encore là. Toujours dans sa tenue d’entraînement, ses cheveux impeccablement attachés, Belgrade continue de courir, même une heure après la fin des cours.

Il la regarde, mais il ne sait pas ce qu’il ressent. Ce n’est pas l’admiration candide qui le saisit quand un de ses camarades fait un bon coup en cours, c’est quelque chose qui le laisse perplexe. Parfois, il se demande si la brune arrête. Tout le monde lui a commandé la prudence, lui rappelant toutes les sortes de rumeurs qui circulaient sur la capitale, sur sa pratique de la magie noire, sur sa manière de répondre aux insultes, son silence et sa manière de bourge. S’il avait réussi à se hisser une place dans la vingtaine supérieure, il ne faisait pas le poids face à la première.  Pour se rassurer, Cardinal tente de chanter, murmurant tout bas, encourageant aussi sa camarade. Même terrorisé, il préférait croire à la beauté du monde, sinon, il n'avait plus de raison d'être. « You gotta  get'cha, get'cha head in the game. We gotta get our, get our, get our, get our head in the game. »

Bon. L’Astronef n’avait rien de la High School Musical, mais il aurait essayé. Belgrade était moins menaçante quand il la comparait à Troy, ne lui en déplaise. ~ ♡

Certes, certains disaient que le talent était naturel, mais quand il regarde la jeune femme , et le temps qu’elle consacre à ses entraînements et ses études, il se dit qu’il ne fait pas tout. Elle est acharnée et Cardinal ne peut pas nier qu’elle le terrorise. S’il a commencé au bas du classement, Belgrade a été classée première, à la première semaine. C’était elle qui avait fait la plus forte impression à leur arrivée, qui pouvait être le plus grand astre comme le plus grand désastre, leur plus grand atout comme leur plus grand échec. Cardinal retient le tremblement de ses mains, se rendant compte que, contrairement à sa camarade, il n’avait tout bonnement rien de spécial. La gentillesse avait une limite, mais l’ardeur de Belgrade était sans nom.  

Cette fois-ci, cependant, il décide de chercher des réponses auprès de la seule personne qui pouvait lui en apporter. Croisant les mains, il prie, avant de se faire un signe de croix, plus pour le spectacle que par réelle nécessité, les religions étant différentes dans sa partie du monde. Descendant les escaliers, il marche en direction de Belgrade, se demandant s’il ne commettait pas la plus grande erreur, se disant qu’au pire des cas, il avait mangé son repas favori lors du déjeuner, et qu’il avait l’estomac rempli de thé. Dans le pire des cas, si la conversation tournait mal, il vomirait le contenu de ses tripes sur Belgrade. Par contre, là, il était sûr de mal finir. « Tu as encore amélioré tes temps. » lui souligne-t-il, commentaire typique de commentateur, même s’il se doute qu’une seconde de moins ne satisfera jamais Belgrade. Lui-même ne sait pas ce qui pourrait lui convenir, le moment où elle pourrait affirmer, avec certitude, qu’elle en avait fait suffisamment. Il doutait de voir ce jour venir. « Tu es vraiment douée, mais tu devrais te reposer. Il y a une expression qui dit que le cheval qui veut voyager loin ménage sa monture. » Cardinal sourit. Ce n’est pas vraiment ce qu’il voulait dire, il aurait aimé sonner plus intelligent ou plus brillant, mais il ne peut pas cacher qu’elle le rend bien nerveux.

Il se demande si elle aussi, elle est nerveuse, comment elle fait pour vivre la tête haute, alors que tout le monde parlait sur son passage. Il se demande si elle aura un toit au-dessus de sa tête, ce soir, avant de se coucher. Il se demande si elle fait des cauchemars. Il se demande si elle a peur.

Il se demande si son pied arrêtera de frapper le sol avec une telle frénésie. Ce ne serait pas par le biais des souterrains qu’il échapperait à Belgrade, il s’était lui-même mis dans cette situation et il l’assumerait jusqu’au bout. Comme un homme.

Non, pas chanter, Cardinal, ne surtout pas chanter.

(Au secours ?)

 

C’est une bonne journée pour Cardinal, une bonne journée pour mourir, vu la personne devant laquelle il se tient. Il ne peut même pas faire appel à son mécanisme de fuite par excellence, le chant, pour se tirer de cette mauvaise situation, mais en aurait-il vraiment besoin ? Y avait-il des bonnes ou des mauvaises situations ? ♡ S’il devait résumer sa vie, ce serait des rencontres, des gens qui lui ont tendu la main, à un moment où il ne le pouvait pas, à un moment où il était seul. Ambre était de retour, et il n’est pas encore allé le voir, parce qu’il ne voulait pas prendre le risque de le blesser. Cardinal a conscience de faire beaucoup de bruit, il chante la vie, il danse la vie, il est amour, mais il est aussi compréhension. Si son ami a besoin de repos, il le lui accordera, tant et aussi longtemps que ce n’est pas le repos éternel.

Il ne devrait pas faire de blague sur la mort, c’est une éviedence, mais il ne peut s’empêcher de se dire que Belgrade refuserait probablement de mourir, si cela impliquait qu'elle devait cesser de combattre. Il l'imaginait mal accepter de rester sans bouger. À vrai dire, son surnom est parfaitement choisi, quand Cardinal prend le temps de penser. La jeune femme avait de beaux traits, même si elle n’était pas aussi belle que Varsovie, et elle a tous les grades pour espérer se démarquer, dans le futur.

Par contre, maintenant qu'il a pris du temps pour la regarder, il ne peut s’empêcher d’avoir de la compassion. Il ne commence pas par les formules de politesse, parce qu’il souhaite connecter avec Belgrade, en utilisant ses passions, son champ de prédilection, les études, l’entraînement, et il fera tout pour réussir, même s’il doit parler de la course, un sport qu’il n’affectionne pas vraiment, parce qu'il n'a jamais été le plus doué. Il était de connaissance commune que Cardinal claudiquait, mais cette semaine, il avait été possible de le voir marcher de manière normale, pendant les cours. En même temps, lui aussi s’était entraîné ardemment. Il prenait l’exemple sur tous ses camarades qui faisait de leur mieux. Dans les futurs combats, il ne pouvait pas se permettre d’être un boulet. En être un, au quotidien, suffisait amplement.

La jeune femme est prise au dépourvu et Cardinal ne peut pas la blâmer. Ce n’était pas la personne la plus sociable de cette île, parfois, il se dit qu’il aurait une meilleure conversation avec un mur, mais c’était à lui de faire des efforts. Belgrade en avait fait. Elle s’était arrêté (ce qui voulait dire beaucoup, venant de sa part, elle ne cesserait pas ses séances, si la fin du monde devait arriver, ce serait après son footing ♡ ) et elle avait voulu le saluer, avant qu’il ne lui coupe la parole, comme un mal élevé. Parfois, il en avait douloureusement conscience, sa bonne humeur et son enthousiasme étaient difficiles à supporter.

S’il n’était pas occupé à creuser un trou dans la terre, qui ferait office de sortie de secours, au cas où les choses tourneraient mal, il lui dirait qu’il se faisait un devoir d’aller vers tout le monde et de connaître tous ses camarades. Ce serait les personnes qui seraient à ses côtés, quand viendrait le temps de la dernière bataille, et il aimait trop les gens pour rester en retrait. Il a peur de Belgrade, mais il comprend maintenant que Belgrade a peur de lui. Il pense au conte que lui avait raconté Varsovie. Il devait l’apprivoiser. Ils ne se connaissent pas. Ils sont les deux opposés. Mais ils devaient se connaître. Le classement ne ferait pas tout. Un jour, ils seraient appelés à travailler ensemble.

Cardinal adore les gens, et c’est bien la raison pour laquelle il se trouve avec Belgrade, même si le duo est un peu improbable, tout comme la phrase qu’il sort à la demoiselle. « Ce n’est pas parce qu’Alcyone est une vache que tu as forcément à être un cheval. » lui souligne-t-il, en haussant les sourcils. Les mains derrière le dos, il marche dans le sable, se faisant un devoir de préciser, au cas où la Belgrade sauvage ne comprenait pas l'humour. « Je plaisante. » précise-t-il.

« Ton corps est une arme, mais à force de trop le solliciter, chacun de tes muscles s’émousse. S’il est sans repos, aujourd’hui, il te fera défaut demain, parce qu’il n’aura pas eu le temps de se reposer ou de se ressourcer. » Il soupire et jette un œil compatissant à sa camarade. Cardinal aimerait lui dire d’être plus douce envers elle-même, parce que si elle continue ainsi, elle craquera. « Même un fusil cesse ses tirs, le temps d’être rechargé. » Après, il ne peut pas comprendre ce que cela fait. Dans sa tête, il est et demeurera toujours le numéro cinquante-neuf, et son travail ne lui retire pas ce symptôme de l’imposteur. Peut-être que Belgrade aussi en souffre, peut-être qu’elle veut être la meilleure parce qu’elle a l’impression d’être la pire. Si c’est le cas, ils se ressemblent et il ne peut que la comprendre.

Était-il fou de vouloir le bonheur d’une personne qu’il ne connaissait pas ?

Il tente une approche plus polie, même s’il ne sait pas comment atteindre sa camarade : « Je ne sais pas ce que ça fait d’être dans les dix premiers, Belgrade, je ne suis pas certain d’avoir vraiment envie de le savoir, mais je me doute que ce ne doit pas être facile. Guinness est fatiguée, Moineau ne me parle plus, Corbeau ne se concentre plus en cours, et même les sourires de Pollux ne sont pas vrais. » Cardinal baisse le regard et serre sa veste contre lui, soudainement pris d’un frisson. « Je ne voudrais pas vous perdre, parce que si nous devons mourir ou perdre, les conséquences seraient terribles. Nous ne serions pas les seuls à en payer le prix. Nos proches seraient aussi touchés, et ce serait encore plus terribles si nous ne sommes plus là pour les protéger. » Il ne peut pas imaginer ce qui arrive si les astres ne parviennent pas à ramener la paix dans leur monde.

Ce serait comme l’hiver de Game of Thrones, mais en pire.

« Vous êtes les meilleurs d'entre nous, vous êtes nos meilleurs espoirs. » Il regarde Belgrade avec un peu d’espoir, un peu de supplication aussi. « Il faut que vous fassiez attention à vous. » lui souffle-t-il. Ses mots se perdront probablement dans la soirée, mais il essaierait, aussi ardemment que possible, de convaincre sa camarade de prendre soin d'elle.

S'il avait réussi avec d'autres, peut-être pourrait-il toucher le coeur de la première au classement ?


 

Il y a une chose que Cardinal adore davantage que la nourriture et le chocolat, et c’est bien de passer du temps en compagnie des personnes qu’il ne connaissait pas. Lui avait toujours la folle idée qu’une rencontre se terminerait par une amitié ou un nouveau surnom dans sa liste de contacts. Belgrade est différente de lui, mais cela ne changeait strictement rien à leur chance de se trouver des atomes crochus. ♡ Cependant, en ce moment, elle ne semble pas accrocher à l’humour, la Belgrade sauvage doit avoir oublié ce que cela fait de rire, derrière cette couche de mauvaise humeur et de sueur. Elle a beau être première au classement, comme Cardinal l’a brillamment souligné à Pollux, dans cette cuisine, déguisée en vahiné, des noix de cocos sur la poitrine, il est possible d’être très intelligent et idiot en même temps. L’exemple qui avait été donné pour appuyer cette théorie, la première d’une longue ribambelle, avait été celui de Sirius, qui n’avait pas hésité à se présenter comme cible, le jour de la mort de Monseigneur. Belgrade aurait aussi pu correspondre à ce postulat, mais Cardinal n’osait plus faire de blague à son sujet. S’il devait avoir recours à l’humour, ce serait avec elle, pas contre elle. ♡

Par contre, elle ne semble pas comprendre comment il est arrivé à la théorie selon laquelle Alcyone se trouve être une vache, réincarnée en une version premier prix de Napoléon Bonaparte. Ce n’est pas autant rire de lui que rire avec lui, ce dernier adorait toutes ses pensées et était même le président de son fanclub, enfin, il l’était, dans ses rêves les plus fous. ♡ Il pourrait expliquer le tout à la jeune femme, mais il ne le fait pas, pour ne pas qu’elle devienne la version humaine d’une erreur 404, l’histoire n’était pas suffisamment importante pour cela. Au sommet, il était facile d’oublier que tout n’était pas créé dans un but précis, que certaines relations n’avaient pas besoin d’être importantes et qu’il suffisait d’aller vers les autres.

Malgré ce qui était une preuve de bonté de la part de Cardinal, Belgrade semble particulièrement agacée. Le jeune homme ne comprend pas qu’il vient de l’insulter, mais il n’est pas véritablement doué avec les nuances émotionnelles et il lui arrive de se montrer blessant, même s’il n’en a pas l’intention. Ce qu’il saisit, c’est que la jeune femme refuse de se lier aux autres et tente de le repousser, en lui disant que ses amis sont faibles, qu’elle tient le coup et qu’elle n’est pas une enfant, qu’elle avait terminé ses études avec brio et travaillait dans la recherche. Belgrade est intelligente, elle n’a pas besoin de le dire, et il ne comprend pas pourquoi elle partage cela avec lui. Franchement, elle n’aurait jamais dû. Maintenant, Cardinal ne partirait nulle part, parce qu’il serait persuadé qu’ils avaient une véritable amitié, puisque Belgrade lui avait révélé une information aussi capitale que son surnom. ~ ♡

Par contre, il se rend compte qu’il a touché une corde sensible et fait mine de ne rien remarquer, comme il le faisait avec Ambre. Cela faisait étrange de voir que Belgrade pouvait être vulnérable, et il ne savait pas trop quoi en penser. Sûrement plus mal à l’aise que sa camarade, il en profite pour sortir un papier de son sac, entre deux peluches, et du bout de son crayon, sur celui-ci, il trace des symboles en japonais. C’est très rare qu’il utilise la langue de Mahoutokoro sur l’Astronef, en dehors de son dortoir, lui qui préfère aborder tout le monde en anglais, mais il n’y a pas de traduction à ce qu’il veut expliquer à sa camarade. Si elle lui a déclaré faire de la recherche, il peut bien lui montrer qu’il maitrise le japonais, afin de l’apprivoiser. Elle avait révélé une facette de son être, et en retour, il pouvait lui montrer un fragment de sa personnalité.

« Karoshi. » prononce-t-il, les lettres coulant sur ses lèvres. Trois symboles sont inscrits sur le papier, mais il commence par pointer le dernier symbole (死), tentant de suivre la structure anglaise, pour donner du sens à son propos. « Mort. » Du bout du crayon, il désigne le deuxième (労). « Travail. » Un peu plus lentement, comme pour marquer l’importance de ce qu’il s’apprête à dire, il pointe le dernier symbole (過). « Beaucoup, mais ça se lit aussi erreur. » Les termes japonais ont souvent plusieurs significations. C’est un peu difficile à expliquer pour les délégations occidentales, mais le jeune homme fait au mieux.  

« C’est un mot japonais qui désigne la mort par surcharge de travail. Ce sont des gens comme toi, des adultes, pour la plupart, qui dorment suffisamment pour accomplir leurs tâches, mais qui ne prennent pas le temps de s’arrêter. » C’est un sujet sensible sur lequel il ne souhaite pas trop élaborer, parce qu’il y aurait beaucoup de références culturelles que Belgrade ne pourrait pas comprendre, donc il décide d’y aller simplement. « Ce n’est pas parce que tu n’es plus une enfant que tu es intouchable. Certaines douleurs n’épargnent personne, et même un enfant peut vouloir la perfection. »

Belgrade lui concède le fait que beaucoup de pression reposait sur leurs épaules. Le message le plus important est passé, ce qui apaise Cardinal. Avoir la validation de la première au classement voulait dire beaucoup pour lui, lui donnait l’impression de réellement faire une différence. Pollux lui avait demandé de continuer de rendre les gens heureux, et il espérait y parvenir.

« Le problème, c’est qu’elle rend tout difficile et qu’elle détériore les relations. À force de vouloir faire mieux, nous finissions par toujours être insatisfaits et cela se ressent sur notre productivité, mais aussi, sur notre santé. » Cardinal se gratte le derrière de la nuque. Il devrait être à l’infirmerie s’il appliquait ses bons conseils, mais il avait appliqué ses propres conseils. « Parfois, il faut penser aux autres et établir des priorités. » Le jeune homme referme son crayon et le remet dans sa poche, en même temps que le morceau de papier, n’aimant pas particulièrement se laisser traîner. « Peut-être que tu as raison et que mes amis sont faibles, mais ils sont là pour moi, ils me soutiennent, ils m'encouragent à m'améliorer, mais ils sont capables de me dire quand je fais une erreur ou quand je perds de vue les choses importantes. Pour cela, je trouve que ce sont les plus forts. » Ses copains ne sont pas les premiers au classement, certains sont un peu étranges, comme Armagnac, Sherry et Mambo, d’autres ne sont plus là, comme Hirondelle et Cueca, mais il les aime, comme ils sont.

Il y a un moment de silence, mais le jeune homme finit par demander.

« À quel point tes amis sont là pour toi, Belgrade ? » Il continue pour poser une question plus rare, mais importante, au vu des circonstances et de la personne à laquelle il s'adresse. « À quel point es-tu là pour eux ? »

En réalité, il la trouvait bien seule.