Eau ruisselle brûle presque autant que la peau. Moment le plus doux, quand les paupières peuvent se fermer sans crainte et tous les muscles se relâcher. La pluie bouillante tout effacer. Aucune journée n'est facile sur l'Astronef, depuis le premier cours il l'a compris. Chaque heure est une sorte de mise à l'épreuve, un rappel constant de ce qui les attend. Guerre, choc des corps, mort pour beaucoup. Poids trop lourd sur des épaules trop frêles. Vite ébranlées. Décès et disparitions sur l'île supposée inviolable ne font rien pour arranger. Il se demande parfois ce qu'il fait là, s'il a bien fait de répondre à l'appel de la reine. Libérer les peuples de l'oppression, hein. Déjà survivre à la formation. Feu chasse tout en s'écoulant au moins le temps d'un battement. C'est suffisant.
Dortoir plongé dans le silence quand il quitte la salle de bains, habillé mais encore trempé. Les américains pour la plupart sont réglés papier à musique, dînent, étudient, rejoignent Morphée. Lecture sur l'oreiller pour les plus audacieux. Raillerie s'étire sur les traits olympiens. Il n'y a que Pollux qui diffère du rythme scrupuleusement respecté. Pollux qui délaisse bien souvent son lit à la faveur de la nuit - il vient s'en assurer. Même lorsqu'il est là, il ne dort pas - ça aussi il y veille. Ça fait soupirer et tempêter les plus ennuyeux, les chuchotements qui n'en finissent jamais. Soleil met un point d'honneur à briller même lorsque les étoiles pointent leur nez et qu'il n'est plus temps de rayonner.
Il traverse la pièce sans être interpellé, pas discret démarche de chat. Hésite encore sur la façon d'occuper les heures voie lactée. Lune scintille au-dehors et ce sera sans doute sortie nocturne, au diable le couvre-feu. Enfant roi ne l'a encore respecté une seule fois. Un sourire, une excuse à la maîtresse lorsqu'il se fait prendre et c'est oublié. Il se glisse dans le foyer céleste listant déjà les possibilités qui s'offrent à lui quand l'azur capte la présence au coin de la pièce. Hume le café et embrasse la silhouette sans un mot. Quand on parle du loup. Sourire s'esquisse matois et il rejoint le canapé, avise les feuillets déjà alignés. Du travail, encore du travail. Se pose sans un bruit trône à la place que l'autre comptait occuper. Pollux, ça le fait rire depuis que Sirius lui a expliqué. Au lieu d'un astre brillant il a choisi le chien d'un dessin animé moldu, et le fils d'Aphrodite ne voit plus qu'un gros amas poilu lorsque le pseudonyme est prononcé. S'empare du bien sans un mot et fait mine de s'y plonger.
« Sécurise ta place comme tu veux, Number One, mais s’il arrive quoi que ce soit à mes affaires, je t’arrache la tête. » Crinière dorée se redresse en l'entendant, feint moqueuse la surprise de le trouver là. Aucune réplique ne fuse, le jeu ne fait que débuter il n'est pas encore échauffé. « Pourquoi t’avais le nez dans mes notes, d’ailleurs ? Ne me dis pas que tu… Révisais ? » Rire claque. Pas un geste pour lui laisser plus d'espace lorsqu'il s'installe à son tour. Azur soutient le regard cérulé, s'anime un peu se réchauffe au contact. Frémit chaque fois qu'il est observé, double l'intensité.
« Non je m'demandais.. C'est des notes, ça, ou bien t'as préparé le cours à la place de Stravinsky ? Regard bref coule sur les notes trop propres, trop appliquées pour ses critères. Je vais devoir t'appeler Moscou et te parler russe maintenant, komrade ? » Lippes s'étirent en coin, taquines et même plus. Il se rapproche l'air de rien, glisse un bras sur le dossier du canapé derrière son vis-à-vis tandis que l'autre main dépose les feuillets impeccables sur ses genoux pour appuyer ses propos. C'est presque plus fort que lui, asséner une ébauche de son numéro à tout ce qui tombe plus d'une minute entre ses doigts malins. Qui désignent maintenant des symboles au hasard comme la tête se penche un peu.
Et s'écarte aussitôt, fronçant le nez avec un claquement de langue agacé. « Merde, tu pues la clope encore. » Dégoût s'inscrit sur le faciès trop parfait, sens délicats mis à mal par l'odeur âcre du tabac consumé. Défaut qu'il soulèverait en premier s'il fallait les citer. Le sang bleu tient les fumeurs en particulière horreur, grossiers, mauvais genre, et surtout cette odeur qui agresse, si difficile à effacer. Il tempête quotidiennement contre cette plaie à évincer de la délégation astrale.
Les yeux ne peuvent que s'écarquiller lorsque Pollux déblatère en bolchevik. Astre ne fait pas mine d'avoir saisi. Pour lui la langue sibérie pourrait aussi bien être mandarin. Charabia pour le cerveau formaté américain. Travail commence à payer, il distingue maintenant les caractères assurément. Rien de suffisant pour comprendre la tirade qui pourrait aussi bien maudire cinq futures générations. Il n'en sait rien. Le seul mot qu'il capte, c'est camarade. Forcément, il le balance à l'occasion. L'écorche sans honte, aussi bien que leurs pseudonymes de cités qu'il imagine villages arriérés. Il n'y en a encore qu'un qu'il sait correctement prononcer, après plusieurs heures à s'entraîner. C'est là toute l'étendue de son vocabulaire cyrillique, rassemblé pour railler et étoffé de quelques clichés : Lénine, vodka, goulag.
« Well, excuuuuuse me, princess. Descend de tes grands chevaux, Brandon, sinon tout le monde va croire que t’es un gosse de riches made in California. Oh, wait.. » Traits s'amusent un peu, plus chauds s'il en faut. Il ne relève pas la moquerie, il ne relève pas le sobriquet emprunté au professeur de politique. Non, le sourire flotte en coin, de ceux qu'il sait terriblement agaçants. C'est bientôt un autre prénom qui reviendra souffler tes lèvres, annonce dans le plus équivoque des silences. Il en faut tellement plus pour le vexer. Pour chasser la mine railleuse, balayer les airs hautains. Pour le ramener parmi les vivants, les deux pieds sur terre et la tête étincelant au soleil plutôt que de l'imiter.
« Voilà princesse, plus de vilaine odeur de tabac pour agresser votre royal naseau. Risette victorieuse, cœur qui peut respirer. Je suis tellement mort, vivement que ça passe, que je puisse enfin dormir plus d’une heure par nuit. » Doigts brûlants se glissent dans les boucles sauvages, caressent négligemment comme pour apaiser. Geste naturel, déconnecté. L'enfant ne paraît même pas y penser. Rare attention chez le prince des étoiles, née d'une empathie si peu sollicitée que la plupart n'oseraient rien que l'imaginer. Taquinée par les traits fatigués et la complainte qui doit coûter, la faiblesse d'ordinaire dissimulée derrière masque baratin.
« Pourquoi tu demandes pas à Maman de te donner un truc pour dormir ? » Maman, évidemment, c'est King. Il l'appelle souvent de la sorte dans son dos, ricanant comme un gamin - en face il donne du madame et de la courbette -, pour cette façon si particulière qu'elle a de les traiter. Les surveiller, les recadrer, les pousser toujours au meilleur. Faisant de la délégation astrale une famille bancale mais fonctionnelle plutôt qu'une camaraderie hasardeuse de circonstance. Une fratrie avec ses favoris, ses benjamins débridés et ses aînés responsables. L'hybride n'appartient certainement pas à la dernière catégorie. Il se place sans le vouloir en petit dernier, duo de jumeaux débordants avec la moitié qui partage tout jusqu'au sang.
« T'as trop peur qu'on t'égorge dans la nuit pour éliminer la concurrence ? » Running gag s'il en est. La tête s'incline de côté dans l'attente d'un sarcasme ou d'une once de vérité, azur vient fouiller le regard épuisé. Et aussi vite qu'il l'a accroché le libère, comme Narcisse ôte son bras pour se pencher vers la table, venant s'emparer de la tasse fumante dans un geste vif mesuré pour provoquer. Contact ardent n'arrache pas un juron, pas un frisson de plaisir ou de douleur. Comme s'il n'avait pas remarqué.