[MAHOUTOKORO] CORBEAU N.11

- Sombre merde !

Haussement de sourcils chez celui qui reçoit l'insulte sans broncher. L'autre sorcier le défie presque, à deux doigts de sortir sa baguette malgré la présence des autres et le règlement, intraitable, qui pèse sur leur tête. Ses yeux crépitent de rage. Les témoins, prudents, reculent, certains cherchent des yeux un professeur, inquiets. L'élève est dangereux et pourtant son vis-à-vis ne se donne guère la peine de réagir, les mains dans les poches, le regard dubitatif. Cela déchaîne davantage la colère de l'étudiant.

- Répète ce que tu viens de dire immédiatement. Et retire-le... Sinon...

Un temps. L'autre garçon semble réfléchir à la nécessité de répondre à un ordre qui lui semble complètement contradictoire : preuve en est avec le soupir qui lui échappe lorsqu'il se décide enfin à répéter les mots qui ont déclenché la colère de l'autre.

- Si Voldemort a gagné la guerre, c'était qu'il était plus grand sorcier que ses adversaires. Je ne vois ce qui te choque dans cette affirmation. La nécessité de retirer mes paroles me semble plus que discutable.

- Comment oses-tu ?!

C'est une autre élève qui intervient cette fois-ci. Une amie de l'agresseur. Elle a les larmes aux yeux. L'homme se tourne vers elle. Ses sourcils se froncent, imperceptiblement. Il la dévisage, la détaille, l'analyse. Quelques secondes plus tard, il se détourne et pose son regard sur celui qui se déclare son adversaire : ce dernier n'attend plus qu'un mot de trop pour lancer les hostilités.

- Cependant, si je t'ai blessé dans tes... sentiments, je suis tout à fait disposé à te présenter mes excuses, à défaut de pouvoir retirer une vérité qui me semble indubitable.

Son interlocuteur, partagé entre vestiges de colère et pure surprise devant cet étrange revirement, est paralysé par l'indécision. L'homme aux yeux noirs en profite. Dans une inclination du buste plus que conventionnelle, mais empreinte d'un sincère repentir, il murmure une formule d'excuse. Puis s'éloigne. L'autre garçon remet sa baguette en place. Il retourne près de son groupe d'amis, maugréant à mi-voix des insultes dans sa langue maternelle.

Un éclair de lumière bleue jaillit de nulle part. Le maléfice le cueille en pleine nuque. Il s'effondre avec un cri de douleur. Une brûlure semblable à celle de la glace se répand dans ses membres. Elle ne partira pas avant plusieurs minutes, au terme de contre-sorts complexes, le laissant tremblant de froid. Une voix résonne plus loin. Distante.  

- En revanche, ne me traite plus jamais de sombre merde. Je n'aime pas la vulgarité.

Ceux qui ont assisté à l'incident sont partagés entre colère, stupéfaction et incompréhension. Ce n'est pas la première fois que celui qu'on appelle Corbeau se fait remarquer. On aurait pu croire qu'un homme aussi silencieux que lui, un étudiant sérieux et appliqué, ne ferait pas de vagues. C'est tout le contraire qui continue de se produire.

Constamment, sorcier va de la provocation à la courtoisie, du numéro de charme à la flèche du Parthe, d'un extrême à un autre, sans que personne n'arrive à dégager une logique claire derrière son comportement. Il divise autant qu'il rassemble, charismatique et diplomate lorsqu'il l'a décidé, glacial et impitoyable lorsque ses objectifs ont changé.

Il est capable de se taire des jours durant, avant d'ouvrir la bouche et de laisser une trace indélébile de son discours dans les têtes de l'assistance éberluée. Il a beau parfois faire preuve d'une franchise choquante, désarmante, personne ne sait véritablement ce qu'il pense. Une opinion tranchée coupe tout accès à une psyché plus intime. On ne sait pas ce dont il est capable, où se trouvent ses véritables limites. Alors tout le monde le garde à l’œil, élèves comme professeurs, parce qu'on a beau devoir se serrer les coudes, qui sait ce qui se cache derrière un pseudonyme d'oiseau de malheur...?